Il y a de nombreux récits de valeur qui se déroulent dans le multivers. Et dans l’un d’eux, une aventurière va se mettre en route pour une fabuleuse quête…
Céline l’aventurière
Depuis déjà maintenant plus de cent ans, le royaume humain de Foralyss prospérait grâce à la sagesse d’un roi noble et au commerce qui faisait vivre ses habitants. Alors que les pays voisins recherchaient pour la plupart l’avenir dans d’idiotes querelles belliqueuses, les humains connaissaient une paix que rien n’avait su ébranler depuis ces nombreuses décennies. Et pourtant, les peuples qui les entouraient restaient une source constante d’inquiétude. Au sud, le grand océan Nag’ijhr où Selkies et Sirènes se livraient un combat sans merci pour la possession des profondeurs marines. À l’ouest, les terres chaotiques de Goer-Roc lieu d’affrontement des redoutables Golems, géants de roche et de haine, contre les Orcs d’Egrèndal. Et enfin, à l’est, les majestueux elfes de Gowenlirne guerroyaient chaque jour durant contre le peuple nain vivant au nord, au sein de l’empire militaire de Forgeroc.
Dans sa grande majorité, le peuple humain n’avait que faire de ces guerres de territoire et de race, mais il était commun de voir certains d’entre eux y prendre part. Ceux que l’on nommait les aventuriers étaient bien souvent les premiers à rejoindre ces jeux mortels, quand ils n’en étaient pas tout simplement à l’origine.
Mais délaissons un moment ces récits placides pour nous rendre à Blanche-d’argent, sympathique bourgade humaine des plaines d’Antol. Prospère et accueillante, cette ville était l’un des points de passage les plus importants de la plus grande route marchande du pays. Chaque jour, des dizaines de marchands affluaient pour y troquer leurs produits. Les maisons de torchis et de chaumes soutenues par de lourdes charpentes de bois peuplaient les lieux.
Notre récit commence un soir de printemps. L’air ambiant est doux, le ciel dégagé et les étoiles étincelantes. Même la lune, dans toute sa rondeur, offre son éclat argenté aux yeux des rares badauds encore dehors à cette heure tardive. C’est sous la lueur blafarde de quelques flambeaux et autres lanternes accrochés aux portes des maisons bourgeoises qu’avance une silhouette encapuchonnée. Il s’agit d’un homme sans nul doute. À son accoutrement, l’on perçoit clairement qu’il n’est pas de la région. De son long manteau marron ne dépasse qu’une paire de bottes en cuir. Une courte cape rouge à capuche et une écharpe violette viennent compléter sa panoplie. Rejoignant le quartier festif de la ville, l’homme s’arrête un instant devant une porte d’où lui proviennent rires, chants et musique. Enfin, il entre, non sans jeter un œil à l’enseigne de l’établissement :
Debout à l’entrée de la taverne, l’homme ôte sa capuche et balaie l’assistance du regard. Nul ne fait véritablement attention à lui. Des soiffards avides de vins et de rengaines boivent et braillent à n’en plus finir au milieu des rires qui emplissent l’endroit. Quelques musiciens accompagnent l’assemblée avec entrain tandis qu’une jeune femme danse visiblement ivre debout sur le comptoir. Des chansons à boire se font entendre avec force.
Notre homme rejoint une table libre et interpelle le tavernier d’un geste assuré.
« Et bien me voilà ! Qu’est-c’que j’vous sers ?
– Une chope de bière, mon ami.
– Très bien ! Je vous amène ça de suite ! »
Pendant que le gérant de l’établissement s’éloigne, l’homme détaille un peu mieux l’assistance après avoir rehaussé ses lunettes rondes devant ses yeux bleus. Tout en passant négligemment sa main dans ses cheveux roux soignés, il constate qu’il risque d’avoir quelques difficultés à mettre la main sur une personne compétente. Il ne semble y avoir ici que des fêtards et autres couche-tard… Le tavernier revient enfin, une chope à la main.
« Voilà pour vous ! Ça f’ra trois pièces d’or !
– Tenez… Dites-moi, sauriez-vous m’indiquer un aventurier que je pourrais engager pour m’accompagner dans ma quête ?
– Ah ! Z’avez frappé à la bonne porte ! Nous avons une aventurière de talent ici même ce soir !
– Et où est-elle ?
– C’est elle là-bas, la danseuse enflammée sur l’comptoir.
– Vous plaisantez ?
– Pas du tout ! Par contre, va falloir attendre qu’elle décuve un peu… Mais croyez-moi, elle ne vous décevra pas !
– Bon très bien, merci…
– Y’a pas d’quoi !
– Ah, une dernière chose !
– Oui ?
– Comment se nomme-t-elle ?
– Céline. »
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Cet inconnu mystérieux à la recherche d’un aventurier prend donc son mal en patience. Profitant tranquillement de la soirée, il observe les habitués perdus dans leur folie alcoolisée. Il commande lui-même une seconde chope et quelques victuailles afin de passer le temps et de mettre enfin fin à sa faim. Finalement, alors que la nuit commence d’être bien avancée et que la plupart des clients ont quitté la taverne d’une démarche semblable à l’avancée d’un navire en pleine tempête, il se décide à agir.
La dénommée Céline est avachie sur une chaise dans un état déplorable… Mais difficile d’espérer mieux d’une chaise mangée aux mites et usée par le temps et les clients. Céline, elle, est dans un état pire encore que cette fameuse chaise. Elle marmonne dans son coin, un sourire béat sur le visage. Elle hausse parfois le ton pour chanter quelques mots avant de rétablir le silence. Notre homme s’approche et s’agenouille à ses côtés pour être à sa hauteur.
« Mademoiselle, bonjour.
– Ah non, on dit bonne nuit, il fait plus jour depuis longtemps ! »
Et elle part d’un grand rire…
« Hum… certes… Tenez, buvez ça.
– Oh non, là je peux plus… Sauf si vous buvez avec moi ! Allez, on trinque !
– Si vous voulez. »
L’homme verse le contenu d’un flacon dans la chope de la jeune femme. En saisissant une autre sur la table, il fait semblant de s’en servir également. Levant tous les deux leur verre, ils trinquent et portent la boisson à leur lèvre. L’homme observe Céline boire ce breuvage de son invention tout en reposant doucement sa chope. Enfin, l’aventurière tourne son regard vers lui. Durant un instant, ses yeux restent perdus dans le vague avant qu’elle ne finisse par s’exclamer :
« Mais vous êtes qui vous ‽ Pourquoi vous me regardez de si près ‽
– Vous venez de boire une potion de ma création. Elle vous a permis de dessoûler. Vous êtes aventurière, j’ai besoin de vous. Et sobre si possible.
– Oulà, du calme ! Je vous ai demandé qui vous étiez, répondez-moi d’abord avant de me faire des propositions indécentes ! Et asseyez-vous de l’autre côté de la table, vous êtes trop près.
– Hmm… Très bien. Je me nomme Symphorien de Spirz.
– Ça part mal…
– Euh… Hum… Je suis alchimiste, mais également voyageur, médecin, géologue, astronome, cartographe et philosophe.
– Vous allez me faire tout le curriculum comme ça ?
– Bon, faisons fi des présentations ! Je vais faire simple : ma fille a été enlevée par un seigneur Nain dans les terres montagneuses au nord du pays et j’ai besoin de vous pour la secourir. Vous êtes bien aventurière ?
– Je le suis effectivement. Qu’est-ce que je gagne à accepter votre quête ?
– Je vous promets un coffret de mille pièces d’or si vous me ramenez ma fille. »
Ces mots ne laissent pas Céline de marbre. Elle écarquille les yeux et reste bouche bée un court instant. Lorsqu’elle se ressaisit, elle réfléchit un moment à ce qu’elle pourrait bien faire avec tant d’or. Elle s’imagine déjà renouveler sa garde-robe et fêter cela dignement à la taverne avec de bons amis… Finalement, elle recentre son attention sur le dénommé Symphorien.
« Et donc, vous disiez que cela se passe chez les nains ? Vous auriez une carte ou des indications précises pour que je puisse m’y rendre ?
– En réalité, je comptais vous emmener sur place. Tout ce que j’attends de vous, c’est que vous vous infiltriez dans la forteresse et que vous libériez ma fille.
– Et vous avez véritablement l’intention de me payer mille pièces d’or pour si peu ?
– Croyez-moi, ce ne sera pas une partie de plaisir. Sinon, j’aurais agi de moi-même. Alors, vous acceptez ?
– Une telle somme ne se refuse pas ! Quand partons-nous ?
– Demain matin aux premières lueurs du jour, si cela vous convient. Ce qui devrait survenir d’ici trois ou quatre heures.
– Ça me convient ! »
Se tournant vers le tavernier, Céline l’interpelle :
« Hé Roger ! Tu aurais deux chambres à mettre à notre disposition jusqu’à ce que le soleil se lève ? »
C’est sur la réponse positive du tavernier que Céline l’aventurière et Symphorien l’alchimiste se souhaitent une bonne nuit en rejoignant leur chambre respective.
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Au petit matin, Symphorien patiente dans la salle principale de la taverne tout en profitant d’un agréable petit déjeuner. Il n’a guère dormi de la nuit, l’inquiétude le dominant. Il espère qu’il n’est pas trop tard pour sa fille. L’impatience le gagnant, alors que les premiers rayons du soleil commencent tout juste à percer les vitres du lieu, il se lève et se dirige vers l’escalier menant aux chambres. Cependant, alors qu’il commence à gravir les marches, la silhouette de Céline se profile à l’étage.
La jeune femme à la courte chevelure brune a revêtu sa tenue d’aventurière, digne d’une guerrière. Un corset en cuir noir et aux attaches dorées enserre sa taille par-dessus un débardeur de même couleur bombant sa poitrine. De légères épaulières et des brassards laissent en grande partie ses bras nus. Son pantalon ébène en toile est mis en valeur par une paire de jambières d’un noir de jais composée de multiples plaques de cuir. Enfin, de longues bottes satinées terminent son apparence vestimentaire. À tout cela, il convient tout de même de relever la présence d’une longue et fine épée d’acier attachée à sa ceinture.
La silhouette gracile et élancée de Céline est également marquée d’une force que seuls les vrais combattants savent mettre en avant. Le tavernier avait prévenu Symphorien : cette jeune femme est autant passionnée par l’aventure et l’alcool que par les beaux habits. Elle sait se mettre en valeur !
« Vous allez me dévêtir du regard encore longtemps ?
– Oh, pardonnez-moi, dame Céline ! Loin de moi l’idée de…
– Mais bien sûr ! Allez, faites demi-tour, vous bloquez le passage. »
Symphorien, empourpré jusqu’aux oreilles face à la splendeur de la guerrière, se hâte vers le rez-de-chaussée. Céline l’y rejoint avant de déclarer :
« Bon, on attend quoi ? Vous avez une quête pour moi, oui ou non ?
– Euh… Oui, oui ! Bien sûr ! Vous ne mangez pas un morceau avant de partir ?
– Votre petite potion d’hier m’a peut-être ôté l’ivresse due à l’alcool, mais j’ai encore mes chopes de la soirée sur l’estomac, alors, non merci.
– À votre guise, suivez-moi dans ce cas. J’ai réservé deux chevaux à l’écurie qui se tient à l’entrée est du village. Nous allons traverser les plaines d’Antol jusqu’aux montagnes Mauve. Là-bas nous attend un véhicule de mon invention qui nous sera indispensable pour vous permettre d’investir la citadelle naine. Mais inutile de s’attarder sur le sujet, vous en saurez plus une fois sur place.
– Je vous suis. »
Nos deux compagnons traversent vivement la ville jusqu’à atteindre la fameuse écurie. Symphorien paye le palefrenier pour les deux destriers qui leur sont loués. Faisant comprendre à Céline sa volonté à partir sans plus tarder, l’alchimiste l’invite à se mettre en selle. Enfin, tous deux s’élancent en direction du nord.
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Cela fait près d’une heure qu’ils cheminent côte à côte sur les étendues herbeuses d’Antol. Ces plaines sont majoritairement encore sauvages. Des troupeaux de daims, de chevreuils et de chevaux galopent ou profitent des points d’eau sous les yeux attentifs de quelques fauves. Symphorien interpelle Céline, désireux de relancer le dialogue qui s’est perdu depuis leur départ. Il hausse la voix pour se faire entendre malgré les échos des sabots des chevaux.
« Nous arriverons bientôt au pied de la montagne. Un chemin creusé à même la roche nous y attend.
– Et au bout du chemin ?
– Ce sera notre premier point de passage obligatoire. Inutile de rentrer dans les détails pour le moment, vous me prendriez pour un fou.
– Je vous prends déjà pour un fou.
– Vraiment ? Pourquoi donc ?
– Je ne sais pas trop… Quelque chose entre l’intuition féminine et votre style vestimentaire.
– Qu’avez-vous contre mon manteau ?
– Il est laid.
– C’est l’habit distinctif de la guilde des alchimistes ! Je conviens que vous semblez douée pour ce qui est de bien se vêtir, mais tout de même.
– Vous trouvez ?
– Trouver quoi ?
– Que je suis douée pour le choix de mes vêtements.
– Évidemment, j’ai rarement vu femme aussi bien habillée.
– Bon allez, je vous pardonne votre faute de goût parce que vous reconnaissez mon talent presque artistique avec les habits ! »
Et la voilà à nouveau partie dans un rire éclatant.
« Vous riez tout le temps vous ?
– Il faut bien ! La vie serait bien triste sinon !
– La vie sera plus heureuse pour moi quand j’aurai retrouvé ma fille.
– Ah oui, pardonnez-moi.
– Ce n’est pas grave.
– D’ailleurs, en parlant de votre fille, où est sa mère ?
– Elle n’en a pas.
– Elle en a forcément une.
– Ma fille n’est pas humaine.
– Comment ? Ça veut dire quoi ça, pas humaine ? »
Symphorien garde un instant le silence, il semble en pleine réflexion. Sans doute cherche-t-il la meilleure façon d’aborder le sujet. Finalement, quand il reprend la parole, c’est pour détourner la conversation.
« Nous arrivons à destination. Il va falloir laisser nos chevaux rentrer d’eux-même à la ville.
– Nous ne pouvons pas continuer avec eux ?
– Le chemin est plus aisément praticable à pied. D’autant que là où nous allons, les chevaux ne pourront pas nous accompagner. Et puis, ils sont dressés pour retrouver leur chemin dans la plaine. Au-delà, ça devient plus compliqué pour eux. »
Céline et Symphorien mettent pied à terre et, à l’aide d’une tape sur la croupe de leurs chevaux, ils renvoient ces derniers à leur propriétaire. Céline se tourne vers l’alchimiste pour reprendre la discussion avortée, mais s’aperçoit que celui-ci s’engage déjà sur le chemin chaotique qui traverse la montagne. Elle le rattrape bien vite.
« Vous pourriez m’attendre tout de même. Je ne vais pas m’amuser à vous courir après à chaque occasion.
– Hmm ? Ah oui, pardonnez-moi, j’étais perdu dans mes pensées.
– Charmant… Et ça vous arrive souvent ou c’est seulement quand vous êtes accompagné ?
– Et bien ? Déjà du sarcasme ? On ne se connaît que depuis peu pourtant…
– Bon, qu’est-ce qui vous arrive ? Vous étiez plus commode tout à l’heure. C’est parce que nous avons parlé de votre fille ?
– En partie.
– D’ailleurs, vous n’avez toujours pas répondu à ma question.
– Laquelle ?
– Vous disiez que votre fille n’était pas humaine. Qu’entendiez-vous par là ? Parce que, humaine ou pas, elle est forcément née d’une mère.
– Silence !
– Oh ça va, ce n’est qu’une question !
– Non, non, pas ça ! Je vous demande de vous taire, j’ai entendu un bruit étrange…
– Je n’ai rien entendu moi. Vous n’essaieriez pas simplement de changer de sujet ?
– Mais taisez-vous bon sang, j’écoute !
– Roh, le relou !
– Le quoi ?
– Une expression de par chez moi, laissez tomber. Bon et ce bruit alors ?
– Hmm… Je ne le perçois plus… Je pense que… Oh sacrebleu ! Là-bas, regardez ! »
Surprise par la réaction brusque et brutale de l’alchimiste, Céline sursaute dans un premier temps avant de faire volte-face. Elle dirige son regard dans la direction que Symphorien lui indique. La stupeur est de rigueur, lorsque le jeune troll des montagnes qui les observait sans bouger s’élance soudainement vers eux. Cette masse de muscle fait trembler le sol à chacun de ses pas lourds. C’est près de trois tonnes de chaire d’une hauteur de deux mètres qui s’approche d’eux. Rugissant à tout rompre, il brandit à pleine main une énorme et longue massue en bois. Symphorien, terrorisé, s’exclame :
« Nous devons fuir !
– Trop tard, il est trop proche de nous, il va falloir combattre.
– Mais vous êtes folle !
– Le véhicule dont vous me parliez est encore loin ?
– Et bien… je…
– C’est bien ce que je pensais. Inutile de nous enfuir si c’est pour se faire rattraper. Il faut l’affronter pour s’en débarrasser ! Restez en arrière, je m’en occupe. »
Une musique des plus épiques aurait pu se faire entendre de nulle part, personne n’en aurait été surpris. Céline tire son épée de son fourreau et se met en garde en attendant l’arrivée du troll. Les rugissements de la bête se font plus profonds au fur et à mesure qu’il piétine vers nos compagnons. Enfin, arrivé à bonne hauteur de la guerrière, il s’élance en levant sa massue. Il retombe lourdement devant Céline et abat son arme dans la direction de celle-ci… Mais elle n’est déjà plus là. D’une roulade souple, elle s’est décalée sur la droite. Elle se dresse à nouveau sur ses deux jambes et se jette à son tour sur la créature qui tente de la repousser en la balayant de son bras immense. S’agenouillant pour éviter l’assaut, elle tranche les muscles du membre assaillant. Sa lame est si affilée que l’avant-bras sanguinolent de la bête pend mollement, scié en deux.
Le troll hurle de plus belle, la douleur décuplant sa rage ! Il abat de nouveau sa lourde masse à plusieurs reprises vers la jeune femme qui réussit tant bien que mal à éviter les attaques à répétition. Son agilité lui est d’un grand secours dans une telle situation, mais cela a le don d’enrager la bête. Cette dernière fait face à Céline, se campe fermement sur ses deux jambes et concentre toutes ses forces pour abattre à nouveau sa massue dans un coup voulu décisif. Il faut dire que les trolls ne savent surmonter les épreuves qu’en augmentant encore et toujours l’aspect bourrin de leurs attaques…
Céline ne se laisse pas perturber outre mesure. Elle effectue une glissade entre les jambes arquées de la créature. Elle se retrouve dans son dos au moment où la masse touche le sol dans un fracas assourdissant. Céline profite sans attendre du fait que le troll soit penché en avant. Non qu’elle se laisse aller à quelques pratiques malsaines, mais la voilà en train de monter le troll… Sur le troll ! Elle s’accroche fermement. Cela ne semble guère plaire à ce monstre qui se redresse brusquement. Laissant choir sa massue, il tente de saisir la jeune femme. Hélas pour lui, il en perd l’usage de son second bras… Enragé plus que jamais, il se secoue énergiquement dans l’idée d’envoyer valser cette intruse incommodante.
Finalement, Céline lâche prise et se retrouve à terre. Son épée lui échappe des mains et atterrit à un mètre d’elle. Tournant son regard vers le troll elle a tout juste le temps de voir arriver un pied immense cherchant à l’écraser. Elle roule au sol vers son épée alors que la bête martèle la terre montagneuse avec frénésie. Une fois en possession de sa lame, Céline tranche avec une précision chirurgicale la jambe fixe du monstre. Déstabilisé, il cesse de piétiner à tout va, offrant à la guerrière l’occasion d’asséner un second coup sur l’autre jambe. Elle se projette à distance respectable pour éviter le poids de la bête qui s’écroule suite à ses blessures. Jambes et bras tranchés, le troll ne peut plus se mouvoir et se contente de hurler sa rage. Céline s’approche et plante son épée dans la gorge de la créature qui commence doucement à s’étouffer dans son propre sang.
Elle se tourne vers Symphorien et déclare :
« Maintenant, nous pouvons nous enfuir.
– Est-ce vraiment nécessaire maintenant que cette horreur est à terre ?
– Étant donné que ce troll est jeune et qu’il vient d’appeler à l’aide, je ne serais pas étonnée de voir surgir un membre plus costaud de sa famille d’un instant à l’autre. Alors à moins que vous souhaitiez finir en ragoût pour ces choses, oui, il est nécessaire de courir.
– D’accord, d’accord, suivez-moi. »
Ouvrant la marche à une allure proche de la course, Symphorien guide Céline dans le dédale de rochers. Ils essaient tant bien que mal de mettre une distance respectable entre eux et ce qu’il reste du troll. Et c’est soudainement, au détour d’un pan de montagne, que se dévoile le fameux véhicule dont parlait l’alchimiste. Céline, déroutée par l’incongruité de la chose, ne peut retenir une exclamation.
« Qu’est-ce que ce bateau fait perché en pleine montagne ‽
– Il s’agit de ma demeure ! Dame Céline, bienvenue chez moi ! »
La fierté se laisse entendre dans la voix de Symphorien, non sans raison. Devant nos deux compagnons se dresse un immense navire tel que l’on peut en admirer dans les flottes marchandes ou militaires les plus grandioses. La coque dans un bois foncé et brillant est maintenue au-dessus du sol par deux lourdes ancres de métal et une sorte de puissante béquille de bois renforcée. Deux immenses réacteurs à hélices se profilent à l’arrière de la nef. La proue, soutenue par une statue semblable à une harpie, pointe loin vers l’avant. Des pièces habitables se devinent en hauteur, derrière de nombreuses fenêtres. Le pont du navire, délimité par un bastingage en bois clair, est surélevé à l’arrière. Symphorien s’arrête près de cette fameuse nef et, affichant un grand sourire, se tourne vers Céline.
« Alors, qu’en pensez-vous ?
– Je… Vous… Vous pouvez m’expliquer ? Comment ce bateau est arrivé ici et en quoi va-t-il nous servir à quitter les lieux ?
– Deux questions, une réponse : ma demeure est une nef volante.
– Vous plaisantez ?
– Absolument pas ! Nous allons monter à bord et vous allez pouvoir constater ça par vous même. »
Symphorien enclenche un mécanisme et une ouverture se dessine contre la coque du navire. Une rampe d’accès s’extrait des entrailles du bateau et descend vers eux. Des marches se déploient pour former un escalier. Le chemin est ouvert pour pénétrer dans la nef.
« Après vous, ma chère. »
Alors que Céline, encore ébahit par l’étonnante machine, commence à gravir l’escalier, un hurlement sourd se fait entendre au loin derrière eux. L’aventurière fait volte-face et voit dans le lointain la tête furibonde d’un troll adulte dépassant d’un amoncellement de rochers. Elle saisit l’avant-bras de Symphorien et l’entraîne à sa suite dans la nef au pas de course. Une fois à l’intérieur elle donne les ordres.
« Remontez votre rampe et fermez cette porte. Vous disiez que ce bateau peut voler, prouvez-le, sinon il sera juste bon à nous servir d’abri aussi longtemps que ce troll ne l’aura pas réduit en poussière. Il nous a clairement pris en chasse. Nous avons néanmoins un peu de chance, vu la distance à laquelle il était, il lui faudra près de trois minutes pour nous atteindre. Votre nef aura-t-elle décollé d’ici là ?
– Assurément, je m’y emploie de suite ! Vous pouvez monter sur le pont si cela vous dit. Vous y trouverez des canons. La poudre et les boulets sont à côté. Essayez d’en user pour ralentir cette créature, deux précautions valent mieux qu’une.
– D’accord, chacun à son poste. »
Symphorien se précipite à l’avant de la nef et commence à actionner divers mécanismes présents au côté d’un gouvernail. Céline, quant à elle, empreinte l’escalier intérieur pour se rendre sur le pont. Elle rejoint sans attendre l’un de ces fameux canons. Elle commence à le charger lorsqu’elle entend un étrange bruit de rouage derrière elle. Jetant un coup d’œil intrigué, elle découvre avec stupeur qu’une ouverture s’est pratiquée au centre du navire. Une immense toile commence à se gonfler d’air chaud et des voiles se déploient telles les ailes d’un gigantesque oiseau. Un nouveau rugissement rappelle à Céline que l’instant n’est pas à la contemplation. Elle recentre son attention sur le canon, finit de le charger et s’apprête à enflammer la poudre. Alors que la nef commence doucement à s’ébranler, le troll de près de cinq mètres de haut est enfin à portée de tir. L’aventurière allume le canon. Le boulet est propulsé vers la bête qui ne prend guère la peine de l’esquiver dans sa rage incontrôlable et le prend en plein estomac. Le troll titube de quelques pas en arrière, perd l’équilibre et s’écroule. Le temps qu’il se relève, il est déjà trop tard : la nef vole.
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Après quelques heures à courir d’un bout à l’autre du navire pour, tour à tour, admirer la vue, s’émerveiller sur le fait de voler, applaudir l’ingéniosité de cette machine et questionner à tout va Symphorien sur son invention, Céline choisit enfin de se calmer. Elle prend place dans un fauteuil dans la salle principale du vaisseau. À ses côtés se dressent une bibliothèque pleine de livres savants, une table couverte de notes et de fioles ainsi qu’une grande carte sur un support à roulettes.
Symphorien prend place à ses côtés sur un second siège. Il est épuisé. L’entrain de la jeune femme semble sans limites, aussi espère-t-il de tout cœur qu’elle reste calme un long moment. Un peu de repos n’a jamais fait de mal à personne… Cependant, Céline ne pense apparemment pas la même chose !
« Vous voulez bien me parler de votre fille maintenant ?
– Je veux bien, mais promettez-moi qu’ensuite vous me laisserez le temps de me reposer…
– Ça dépendra de ce que vous me direz ! Comblez ma curiosité et je songerai à vous laisser un peu tranquille !
– Bon, très bien… Que voulez-vous savoir ?
– Vous disiez que votre fille n’était pas humaine et qu’elle n’avait pas de mère : expliquez-vous. »
L’alchimiste rassemble calmement ses pensées avant de tourner son regard à nouveau vers la jeune femme.
« Ma fille est telle que je vous l’ai décrite, car c’est moi qui l’ai fabriquée de toute pièce. Elle est ce que l’on nomme un androïde.
– Vous m’avez engagé pour sauver un robot ‽
– Elle n’est pas qu’une simple machine, elle est bien plus que ça. Ma fille a développé une conscience, une forte intelligence et des sentiments. Elle n’est pas humaine, mais en a toutes les caractéristiques.
– Mais pourquoi vous être compliqué la vie à fabriquer une enfant ? Vous ne pouviez pas vous trouver une femme avec qui coucher comme tout le monde ? »
Symphorien reste un instant décontenancé en constatant à quel point Céline reste directe pour s’exprimer. Il se reprend finalement pour répliquer :
« Mon objectif n’était pas d’avoir une fille. Je suis un inventeur. Je cherchais avant tout à créer un androïde capable d’égaler les meilleurs médecins. Mais il me semblait évident qu’il devait avoir une intelligence humaine suffisamment développée pour ne pas se cantonner à des règles préétablies. Un véritable docteur adapte son diagnostic et ses soins en fonction des symptômes du malade, mais il ne s’arrête pas à ça. Le ressenti humain est important également. Et c’est ce que j’ai voulu offrir à ma création. Sauf qu’en perfectionnant son intelligence, je lui ai également confié une conscience. Elle a ensuite commencé d’elle-même à exprimer des sentiments. Elle a tout ce qui fait un humain, hormis le corps. Encore que, il a beau ne pas être fait de chair et d’os, je l’ai tout de même modelé à l’apparence d’une jeune femme.
– Ouais, vous cherchiez surtout à vous offrir un jouet sexuel !
– Mais vous ne pensez qu’à cela ma parole ! Puisque je vous dis qu’elle est ma fille ! Essayez de ne pas être malsaine un moment, enfin… Et puis, l’avantage du corps que je lui ai fabriqué, c’est que ses futurs patients seront plus à même de la laisser les soigner.
– Ça rejoint ce que je disais…
– Bon, qu’importe ! Vous avez d’autres questions ou souhaitez vous en rester là ? »
Céline réfléchit un instant, puis déclare :
« Et ce roi nain, pourquoi a-t-il donc enlevé votre fille robot ?
– C’est une bonne question en effet… De ce que j’ai pu découvrir, il s’est mis en tête de la convertir en arme. Il souhaiterait qu’au lieu de soigner les gens, elle les tue ou les achève. Il a dans l’intention de la reprogrammer pour y arriver. Malheureusement pour lui, j’ai mis en place tellement de sécurité qu’il ne pourra rien faire. Il a besoin de moi. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle je ne peux pas m’infiltrer moi-même dans la citadelle. Je suis sa cible actuelle.
– Et donc vous avez besoin de moi parce que, si j’y laisse ma peau, vous pourrez toujours engager quelqu’un d’autre.
– Vous avez le don d’exprimer le côté négatif des choses vous… J’espère bien que vous réussirez, ce tyran ne va pas apprécier d’attendre éternellement ma capture. De toute façon, si vos talents sont aussi formidables que ce que Roger le tavernier me disait, et votre combat contre le troll me rassure dans ce sens, alors mon plan réussira. Si vous suivez mes instructions, nous aurons sauvé ma fille dans peu de temps.
– Et ce plan d’ailleurs, vous me l’expliquez ?
– Plus tard, quand nous serons en approche de la citadelle. Pour le moment, j’aimerais me reposer. Donc si vous avez encore des questions, veuillez les poser rapidement.
– Combien de temps nous reste-t-il avant d’atteindre la cité des nains ?
– Moins de deux jours. Nous y arriverons certainement en début de nuit demain soir. Ce sera tout ?
– Oui, vous pouvez vous reposer.
– Merci ! »
L’alchimiste se laisse donc aller en arrière sur son fauteuil, les yeux fermés. Il commence tout juste à s’assoupir lorsque Céline reprend la parole.
« Messire Symphorien, j’aurais une dernière question. Après je vous laisse tranquille, c’est promis.
– Pfff… Ai-je vraiment le choix ? Allez-y, qu’on en finisse.
– Comment se nomme votre fille ?
– Diane. »
********
Voilà deux journées entières que Céline et Symphorien ont quitté la taverne de Blanche-d’argent. La cohabitation au sein de la nef volante se passe bien. Symphorien est occupé la majorité du temps à poursuivre ses recherches en alchimie ou à étudier divers ouvrages récemment acquis. Céline quant à elle s’entraîne à l’épée sur le pont du navire lorsqu’elle ne profite pas de la réserve d’alcool exotique de son hôte.
C’est finalement à la fin du deuxième jour, alors que la nuit est tombée depuis quelques heures, que Symphorien interpelle Céline, endormie sur un fauteuil.
« Réveillez-vous, nous arrivons à destination ! »
Céline s’éveille doucement, s’étire puis s’approche de l’alchimiste qui est en train de fouiller dans un tiroir.
« Et bien, c’est pas trop tôt, j’ai besoin d’un peu d’action !
– Vous allez en avoir, mais avant tout, je dois vous exposer le plan.
– Allez-y, je vous écoute.
– Pour commencer, vous allez pénétrer dans la citadelle en passant par le haut de l’une des tours. Vous y descendrez grâce à une corde à nœuds. Jusque là, pas de soucis pour vous ?
– Non, ça va, continuez.
– Très bien. Je vais vous donner deux objets qui vous seront très utiles. »
Symphorien saisit une boussole dans le tiroir et la tend à Céline.
« Cette boussole n’indique pas le nord, mais vous sera indispensable.
– Pourquoi ? Elle indique ce qu’on désire le plus ?
– Pas du tout… Je me demande où vous allez chercher de telles idées… Non, elle indique où se trouve Diane. L’aiguille est dans un matériau de mon invention. Il est attiré par une pièce de même matière intégrée dans les circuits de ma fille. La boussole vous guidera dans un espace tridimensionnel.
– Et en langage courant, ça donne ?
– Qu’importe la position de Diane autour de vous, l’aiguille vous l’indiquera de telle sorte que vous saurez également si elle se trouve à un étage différent du vôtre.
– Ah voilà, là j’comprends ! »
Symphorien se détourne pour saisir un deuxième objet qu’il remet entre les mains de Céline.
« Ceci est une balise. Quand vous aurez retrouvé Diane, enclenchez ce bouton. J’en serai averti immédiatement. Je me rapprocherai de votre position. Lorsque je serai assez proche, ce cristal s’illuminera et vous n’aurez plus qu’à appuyer dessus en tenant Diane contre vous pour que vous soyez toutes les deux téléportées dans la nef. Et il ne nous restera plus qu’à fuir.
– Attendez, vous avez de quoi vous téléporter et vous n’allez pas chercher votre fille vous même ?
– Cette technologie n’est pas assez puissante. Il faut que la nef soit très proche de la balise pour que le transfert fonctionne. Or, je ne peux pas prendre ce risque. Les soldats de la forteresse détruiraient mon vaisseau avant que je n’aie pu m’enfuir. Et puis, vous pourrez vous téléporter jusqu’ici parce qu’il y a le récepteur équivalent, mais vous ne pouvez pas apparaître dans la citadelle de la même manière. L’équation quantique qu’il m’a fallu mettre en exergue pour obtenir ce résultat de transposition corporelle dans un espace tridimensionnel distant était bien trop…
– Bon, ça va oui ! Les explications techniques c’est vite gonflant, vous savez. Il suffisait de dire “Non impossible, ça ne marche pas comme ça”. Je n’aurais pas insisté. Enfin bref, pendant que j’irai chercher votre fille, que ferez-vous de votre côté ?
– Je ferai diversion à l’opposé de votre point d’entrée pour attirer un maximum de monde. Vous devriez être assez tranquille pour explorer les lieux. Je reviendrai vers vous quand vous aurez enclenché la balise.
– D’accord. J’espère que votre plan fonctionnera. Au moindre événement imprévu, je vous préviens, j’improvise.
– Tant que vous ne vous faites pas tuer et que vous récupérez ma fille, vous pouvez bien faire tout ce que vous voulez. Mais assez parlé maintenant. Nous arrivons en vue de la cité naine. Il va falloir passer à l’action. »
********
La nef est en vol stationnaire au-dessus de la citadelle. Une longue corde part de la porte du vaisseau et rejoint le haut de la tour en contrebas. Céline finit d’atteindre le sol de pierres taillées et fait signe à Symphorien qu’il peut remonter la corde et commencer sa diversion. Sans plus attendre, l’aventurière soulève une trappe et entre dans la tour. Il n’y a personne en vue.
Céline ouvre la boussole de l’alchimiste. L’aiguille pointe devant elle vers les étages inférieurs. La jeune femme descend l’escalier de pierre en colimaçon jusqu’à atteindre le niveau où se trouve Diane. Il ne lui reste plus qu’à parcourir les couloirs afin de trouver la salle où l’androïde est maintenu enfermé.
L’aventurière se dissimule rapidement derrière un pan de mur en entendu des bruits de pas rapides venant dans sa direction. Des soldats nains passent au pas de course près d’elle sans la remarquer. D’après les paroles qu’ils échangent, Céline devine qu’ils se rendent là où Symphorien fait diversion. Son plan semble fonctionner. Elle attend que plus aucun son ne se fasse entendre avant de sortir de sa cachette et de continuer sa recherche. Malheureusement, elle se retrouve nez à nez avec deux humains équipés et armés comme des aventuriers.
« Oh non, mais c’est pas vrai ! Vous êtes qui vous deux ? Pourquoi vous n’êtes pas avec les autres ?
– Et bien, ma jolie, tu t’es perdue ?
– M’est avis qu’elle cherche surtout à foutre la merde, frangin. »
Les deux inconnus, qui semblent être frères, dégainent des épées d’acier et s’approchent doucement de Céline en ricanant. Celle-ci les prend de court en libérant à son tour son arme du fourreau accroché à sa ceinture. Elle se met en garde et déclare :
« Ce que je déteste le plus avec les gens comme vous, c’est votre arrogance. Vous vous pensez immédiatement supérieurs à vos adversaires sans avoir pris la peine de jauger leurs capacités.
– Oulà du calme, gamine, ça veut dire quoi “les gens comme nous” ?
– Premièrement, la gamine elle t’emmerde et ensuite vous puez les mercenaires à dix lieux à la ronde. Les gens vous confondent trop souvent avec des aventuriers et vous donnez une mauvaise image de notre profession. Je vais donc me faire le plaisir de vous remettre à votre place.
– Et beh, elle est bien arrogante la princesse.
– T’inquiètes pas frangin, une fois qu’on l’aura dressée elle sera moins farouche ! »
Les deux frères mercenaires s’esclaffent aussitôt de rire, fiers de leurs répliques. Ne leur laissant guère le temps de réagir convenablement, Céline passe à l’attaque. Les deux mercenaires parent maladroitement les coups de l’aventurière qui prend aisément le dessus. La pointe de sa lame érafle la main de l’un des deux hommes. Celui-ci desserre aussitôt sa prise sur la poignée de son arme. D’un geste souple la guerrière fait valser l’épée au loin avant d’en faire de même avec le mercenaire, lui infligeant un bon coup du plat de sa botte dans l’estomac.
Elle se tourne vers son deuxième adversaire. Elle pare aisément sa lame et en dévie la course pour l’empêcher de contre-attaquer. Elle lui assène un violent coup avec la garde de son épée au niveau de l’arcade sourcilière. Alors que le mercenaire titube et cherche à reprendre ses esprits, Céline lui tranche la main avec laquelle il combat. L’homme se met immédiatement à hurler de douleur en serrant son moignon sanglant de son autre main. Il se fait repousser par la guerrière et tombe au sol, dos au mur. D’un violent coup de genou en plein visage, Céline assomme le mercenaire.
L’autre homme, ayant récupéré son épée et assisté à la défaite de son frère, se jette sur Céline en grognant de rage.
« Tu vas me le payer, morue !
– On en reparlera quand je t’aurai mis ta raclée. »
Céline se met de nouveau en garde et attend patiemment que le mercenaire arrive à sa rencontre. Le voyant pris de frénésie, elle s’écarte au tout dernier moment, l’évitant alors qu’il est emporté dans son élan. D’un geste souple, elle lui tranche les mollets. L’homme s’écroule en hurlant. Céline se place au-dessus de lui et appuie de son genou sur son dos pour le maintenir au sol. Finalement, d’un violent coup du pommeau de son épée, elle assomme le second mercenaire. Elle se relève et déclare :
« Je tiens toujours mes promesses. »
L’aventurière rengaine son arme et entreprend de traîner les corps inertes dans la salle la plus proche. Une fois la porte refermée sur les deux mercenaires inconscients, elle ressort la boussole. Enfin, la voilà repartie à la recherche de Diane.
********
Après avoir navigué à travers divers couloirs en évitant les mauvaises rencontres tout en se laissant guider par la boussole de l’alchimiste, Céline trouve enfin le lieu de captivité de Diane. Elle s’arrête le temps d’observer les alentours, s’assurant que personne ne l’a vu. Elle réajuste ses vêtements, puis entre dans la pièce. C’est une chambre des plus sobres. Un lit, une table, deux chaises et une lanterne constituent l’ameublement de l’endroit. Assise sur le lit, une jeune femme tourne un visage inquiet vers l’aventurière.
« Qu… qui êtes-vous ?
– Je m’appelle Céline. Vous êtes bien Diane ?
– Oui, c’est moi…
– Symphorien m’envoie vous libérer. »
Sans attendre, ayant eu confirmation du fait d’avoir retrouvé Diane, Céline enclenche la balise sensée avertir Symphorien qu’il peut venir les chercher. Elle poursuit.
« Nous devons sortir d’ici et rejoindre un coin tranquille pour nous dissimuler jusqu’à l’approche de votre père. J’ai repéré un débarras au bout du couloir, dans le tournant. Suivez-moi.
– Ou… oui ! J’arrive !
– Hélas, mesdames, vous n’irez nulle part ! »
Dégainant son épée, Céline fait face à celui qui vient de faire entendre sa voix dans son dos. Quelle n’est pas sa surprise en découvrant un visage connu !
« Toi ‽
– Céline ! Ça alors, quelle délicieuse ironie !
– Mais qu’est-ce que tu fais là vieux pervers ‽
– Tu es chez moi. Je suis David, le Général Noir, roi des nains. Et je suis vraiment heureux de te revoir ! Dois-je comprendre que tu as enfin succombé à mon charme ?
– Ton charme ? Mais qu’est-ce qui faut pas entendre ! Tes sous-entendus me dégoûtent, arrête de t’imaginer des histoires !
– C’est pourtant bien toi qui me faisais des avances durant nos voyages, par le passé.
– Mais tu délires mon pauvre ! On n’a voyagé qu’une seule fois ensemble par nécessité pour une quête et tu t’es mis des idées en tête tout seul ! Va falloir que tu cesses de prendre tes désirs pour des réalités. Maintenant, dégage, je dois emmener Diane loin de toi… »
Le roi nain penche légèrement la tête pour apercevoir l’androïde dissimulé derrière Céline. Il plante ensuite son regard dans les yeux de l’aventurière.
« Je vois. Tu travailles pour ce timbré de Symphorien. Ainsi donc, tu es restée aventurière ? Comme c’est triste. Tu aurais dû prendre exemple sur moi. J’ai délaissé l’aventure pour devenir roi. C’est beaucoup plus plaisant. D’ailleurs, tu pourrais me rejoindre, qu’en dis-tu ?
– Si tu t’approches, je t’arrache les noisettes. Ça aura au moins le mérite de calmer tes ardeurs !
– Tout de suite la violence !… Enfin bref, je m’attendais à ce que cet alchimiste cherche à récupérer sa créature. Tu peux toujours rêver en revanche pour que je te laisse l’emmener. Vous êtes chez moi. Et l’une comme l’autre, vous resterez ici quoi que vous puissiez en dire ! »
David dégaine à son tour. Il tient entre ses mains une épée courte. Il se met en garde et défit Céline du regard. Sans attendre, comprenant qu’elle doit forcer le passage pour pouvoir fuir, l’aventurière attaque. Cependant, son adversaire sait manier les armes blanches aussi bien qu’elle. Les coups s’échangent, mais aucun des deux épéistes ne prend le dessus sur l’autre. Tour à tour, ils parent, attaquent, contre-attaquent… Mais rien n’y fait. Céline fait un bond en arrière pour mettre de la distance avec son adversaire.
« Allons, Céline, ce combat ne nous mène à rien. Rend les armes et je t’accorderai une place d’honneur dans mon royaume… et pourquoi pas, dans mon lit !
– Rêve, vieux fou ! »
Céline observe ce qui l’entoure du coin de l’œil. Diane attend dans un coin de la pièce, derrière la table, que le combat se termine. De l’autre côté, à gauche de l’aventurière, il y a le lit. Une idée germe soudain dans son esprit. S’arrangeant pour capter le regard du nain, de telle sorte qu’il se focalise sur son épée, elle s’approche de lui en saisissant le drap qui recouvre le lit. D’un mouvement ample, elle l’envoie recouvrir son adversaire. De sa petite taille, il s’empêtre dans le tissu. Céline lui saisit le poignet et le tord pour lui faire lâcher son arme. Elle lui fait perdre l’équilibre, le mettant à terre. Elle se précipite sur la lanterne, la saisit et vient la fracasser sur le crâne du nain. Ce dernier s’écroule, inconscient. Céline dégaine la balise de Symphorien et constate que celui-ci n’est pas encore assez proche pour lancer une téléportation.
« Vite Diane, sortons ! »
L’androïde ne se le fait pas répéter et se précipite à la suite de l’aventurière dans le couloir. Elles tournent à gauche et commencent à avancer. Hélas, plusieurs soldats déboulent face à elles.
« Les intrus sont là, attrapez-les !
– Ah merde ! Diane, demi-tour ! »
Alors qu’elles prennent maintenant le chemin de droite, un nouvel attroupement de nains en armure se forme face à elles. Elles sont prises en étau.
« On retourne dans ta chambre, enfermons-nous et empêchons-les d’entrer ! »
Les deux jeunes femmes exécutent ce plan de dernière minute. Elles tirent le roi à l’intérieur de la pièce pour qu’il ne bouche pas l’entrée. Elles ferment la porte, puis la barricadent avec le corps du nain puis attendent.
À l’extérieur, les soldats s’amassent contre la cellule. Le capitaine de la garde ordonne à l’un de ses nains d’enfoncer la porte. Après plusieurs coups de boutoir, ils entrent. La pièce est vide, à l’exception d’un tas de draps grognant derrière la porte. Les nains libèrent leur roi qui, constatant que Céline et Diane ont pu s’enfuir, entre dans une rage folle.
« Je vous aurais toutes les deux ! Je vous aurais et je me vengerai ! Raaaahhhhh !!! »
********
À ce point du récit, il nous faut revenir à un moment précis : flashback et compagnie…
Céline et Diane viennent de bloquer la porte avec le corps du roi nain. Diane tremble de peur et se tourne vers Céline.
« Nous sommes prises au piège, qu’allons-nous faire ?
– La nef de Symphorien devrait bientôt être là. Ces gardes n’ont pas été attirés par nous. Je suis prête à parier que ton père est déjà presque arrivé. La diversion étant terminée, les soldats ont sûrement suivi son vaisseau jusqu’ici. Nous n’avons plus qu’à espérer que la balise s’allume avant qu’ils ne défoncent la porte.
– Qu’elle s’allume comme ça ? »
Diane pointe du doigt la balise. Effectivement, le signal leur est donné : il est temps d’activer la téléportation. Céline agrippe Diane et la serre contre elle. À l’instant même où la porte s’ouvre, l’aventurière appuie sur le cristal. L’instant d’après, les deux jeunes femmes réapparaissent à bord de la nef volante. La voix de Symphorien résonne aux commandes du vaisseau.
« Accrochez-vous, on décarre ! »
L’alchimiste enclenche les réacteurs arrière. Doucement, la nef s’éloigne de la citadelle naine sous le regard impuissant de ses soldats. Une fois à bonne distance, Symphorien rejoint Céline et Diane. La fille se jette dans les bras de son père sous le regard attendri de l’aventurière.
« Dame Céline, merci du fond du cœur. Vous avez amplement mérité votre récompense. Le coffre sur la table, là-bas, est à vous. »
La guerrière s’approche du coffret, l’ouvre et découvre les mille pièces d’or qui lui étaient promises. La suite du voyage de retour se déroule sans accroc. Les trois compagnons fêtent la réussite de la quête à bord du vaisseau dans la musique et l’ivresse. Deux jours passent avant que la nef arrive en vue de Blanche-d’argent en début de nuit.
« Et bien, voilà. Dame Céline, c’est ici que nous nous séparons. J’ai été ravi de partager ces quelques jours à vos côtés. Nous n’aurons pas eu beaucoup de temps pour nous connaître, mais je me souviendrai de vous comme d’une femme formidable, toujours souriante, pleine d’entrain, facilement portée sur le rire et une féroce combattante ! Puisse votre avenir être glorieux, radieux et lumineux !
– Merci Symphorien. Je vous souhaite également un grand bonheur à vous et à votre fille. Peut-être nous reverrons-nous un jour. Si vous me cherchez pour une autre quête, sachez que vous aurez toutes vos chances de me trouver à la taverne du bois Sansoif !
– Ahahah, je ne l’oublierai pas ! Au revoir dame Céline.
– Au revoir Symphorien. Et au revoir à toi aussi, Diane.
– Au revoir, Céline, et merci encore de m’avoir secourue. »
Sur ces dernières paroles, Céline descend l’escalier de la rampe d’accès à la nef. Elle attend que le vaisseau ait redécollé et qu’il se soit éloigné avant de faire face à la ville. Guillerette, son coffret d’or sous le bras, elle rejoint la taverne sans plus tarder où les habitués et le tavernier l’accueille à bras ouverts. Payant une tournée générale à l’assistance, elle conte à qui veut bien l’entendre le récit de sa quête.
Finalement, la soirée se termine dans l’alcool, la musique, la joie, les rires et les chansons à boire !
FIN
J’hall Vorondil
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